Léo Dorfner “Chercher / Détruire” Galerie ALB 

Inspiré d’une chanson d’Iggy Pop, Search & Destroy, le titre de la deuxième exposition personnelle de Léo Dorfner à la galerie ALB fait également référence à une stratégie militaire utilisée pendant la guerre du Viêt Nam qui consistait à envoyer quelques soldats au-delà du front pour aller “chercher et détruire.”
Si “l’exposition a été annoncée comme très littérale avec un propos lié à la guerre“, elle est toutefois dominée par les obsessions de l’artiste et teintée de la théorie du survivalisme. “Chercher” et “détruire”, deux verbes très liés dans l’histoire de l’humanité, renvoient aussi au renouvellement nécessaire dans la pratique d’un artiste.

Léo Dorfner met en perspective son propre acte de création en introduisant l’exposition par une pièce emblématique de sa production artistique, une hache gravée plantée sur un socle en miroir. “Chercher / Détruire” amorce ainsi, tout en gardant une persistance dans les motifs – notamment les illustrations des années 50-60 – et dans la pratique du dessin à l’aquarelle, un renouvellement dans le travail de cet artiste qui montre, par ce miroir brisé, qu’il ne sera pas un simple reflet de l’ancien.

“A un moment donné, j’ai cherché ce que je voulais présenter pour cette exposition. L’idée de recherche elle-même m’a plu. J’ai donc mené une réflexion sur la “recherche de la recherche”. Le socle en miroir cassé exprime la destruction, me permet de faire la transition entre mes anciens travaux et les nouveaux. C’est de la recherche pure, formelle, avec des compositions qui sont très différentes.”

“Chercher / Détruire” raconte le processus inhérent à toute création. Une recherche constante que l’on retrouve à travers la figure omniprésente de l’artiste dans une exposition où apparaissent ses goûts littéraires, “Une des références de [l’]exposition est un livre de Robert Merle qui s’appelle Malevil” et cinématographiques. A travers “Chercher / Détruire” Léo Dorfner nous raconte, sur plusieurs échelles, une histoire qui est tout autant celle de l’humanité, que celle du spectateur ou la sienne : “J’ai transposé dans ces oeuvres toutes mes obsessions.” 

Léo Dorfner porte une réflexion sur notre humanité qui ne cesse de se mettre un peu plus en danger à chacune de ses découvertes scientifiques ou technologiques. Les aquarelles de l’artiste, reprenant une iconographie qui retrace des moments clés comme la conquête de l’espace ou des profondeurs sous-marines, le développement de l’industrie pétrolière, … nous placent dans une perspective historique qui nous conduit vers ce basculement irrémédiable de la destinée humaine. La notion de conquête, considérée par tous comme une avancée technologique est cependant liée à une forme de domination tant sur les peuples ou sur la nature qui en font l’objet et répond, quel que soit le contexte de son développement, au schéma tel que le définit Tzvetan Todorov : “comprendre, prendre, détruire” (1). 

Ainsi, face à l’optimisme qu’induit la recherche, aux combinaisons et casques des chercheurs, le casque de guerre gravé se fait annonciateur de la catastrophe à venir. Léo Dorfner confronte son questionnement sur les recherches de l’humanité et la notion d’idéal qu’elles portent ou non en elles, aux récits et aux visions du futur des films de science-fiction. Ainsi, la figure du cosmonaute inspirée du film 2001, l’Odyssée de l’espace, reprend la pose du Pape Innocent X peint par Vélasquez et le nom du cratère est remplacé dans la citation au bas du dessin par son nom de baptême. 

“Le point de départ de l’exposition est la question : combien de temps mettrions nous pour tout reconstruire et atteindre le même niveau technologique si nous détruisions tout ce que l’homme à construit ? Sachant que pour un smartphone par exemple, il faut à la fois du pétrole raffiné pour faire du plastique mais aussi de la haute technologie. J’ai eu envie de faire une hache ex nihilo, en allant chercher le minerai de fer moi-même, le bois, etc. pour montrer que rien de tout cela n’est simple. C’est de là qu’est partie l’idée de survivalisme et de recherche technologique en parallèle.” 

Les coïncidences entre les oeuvres jouent sur les lectures et cette première littéralité qui ouvre sur des voies crutiales de réflexions, ces basculements dus aux choix de l’humanité. Ainsi, l’aquarelle représentant le visage de James Dean découvrant un gisement de pétrole dans le film Géant (2) semble, juxtaposé à la reproduction de la photographie de l’Enola Gay (3), brûlé au napalm. La recherche et la destruction sont intimement liées comme dans la chanson d’Iggy Pop : I’m a street walking cheetah with a heart full of napalm (Je suis un guépard parcourant les rues le coeur rempli de napalm) / I’m a runaway son of the nuclear A-bomb (Je suis un enfant réchappé de la bombe nucléaire). 

À cette recherche destructrice, l’artiste oppose le motif de la cabane comme nouveau point de départ. “Elle n’est pas vraiment fonctionnelle mais elle apporte l’esthétique du survivalisme et de l’abri d’urgence. Les photographies de pin-up font un lien avec mon travail de tatouage car elles sont issues des mêmes magazines que j’utilise pour faire des tatouages. Je garde en réserve une multitude d’images comme cela. Elles font le lien aussi avec la culture américaine des fifty’s, sixty’s.” Cette installation n’a pas de volonté de retour aux origines mais symbolise plutôt l’idée de cycle et de recommencement avec cette possibilité d’évoluer différemment. 

“Dans Branded, la revue que je dirige, il y a un questionnaire et une des questions récurrentes est “Si vous aviez la réponse à une question, quelle serait la question ? Ma propre réponse à cette question est “existe-t-il une vie extra-terrestre et si oui comment est-elle ? Et j’aimerai qu’on me présente une photographie de l’espèce extra-terrestre la plus avancée.” 

La cabane, tout comme la hache par le sillon qu’elle creuse dans la terre, est symbole de fertilité, l’image de “l’embryon d’un monde” (4) à reconstruire en lien avec la nature. Léo Dorfner, qui avait d’ailleurs envisagé d’introduire un décor de jungle autour de la cabane, a une vision de la possibilité d’un nouveau cycle. “Chercher / Détruire” est une “exposition révolutionnaire dans le sens positif du terme” qui amène une réflexion sur le devenir de l’humanité à un moment clé de la vie de l’artiste, celui de devenir père. Le parcours organisé par la galeriste révèle d’ailleurs les nouveaux enjeux artistiques de Léo Dorfner notamment en partageant avec le visiteur un moment d’intimité de l’artiste avec la présence sur le bureau de la galerie d’une photographie de celui-ci posant avec sa femme enceinte. Un cliché qui introduit la figure de la naissance et du recommencement, toujours présente dans les romans d’anticipation.
L’idée de cycle réapparaît à la fin du parcours teintée de cette dérision propre à l’artiste avec la figure de scientifiques s’interrogeant, tels des archéologues ou des conservateurs, face à une oeuvre de Léo Dorfner, une hache plantée sur un socle au MOMA. 



(1) Tzvetan Todorov, La Conquête de l’Amérique. La question de l’autre, Seuil, 1982.

(2) Image extraite de Géant, film américain réalisé par George Stevens en 1956.

(3) Enola Gay est le nom de l’avion Boeing B-29 Superfortress qui, le 6 août 1945, a largué sur la ville de Hiroshima la première Bombe A destinée à être testée sur une population. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Enola_Gay

(4) Mircea Eliade, Image et symbole, essais sur le symbolisme magico-religieux, éditions Gallimard, coll. Tel, 1952, p. 66.


Point contemporain
Share by: