Léo Dorfner : Vivre dans la peur – Rock’n’Roll Runaways 


L’exposition de Léo Dorfner à la Galerie ALB s’ouvre sur un ensemble de portraits. Ce sont de jeunes hommes et de jeunes femmes, en cadrage américain et sur fond blanc ; tous beaux, nonchalants, posant pour l’artiste comme s’ils tendaient le profil au sergent chargé d’immortaliser le jour de leur conscription. Pas un n’offre la pupille de son attention aux visiteurs. La concentration est à son comble ; vêtus d’aucun uniforme, cette phalange aquarellée, armée qui d’une hache, qui d’une scie, porte son regard droit au-dessus de l’horizon.

À cette dramatisation, le noir et blanc, et l’ondulation du papier associent une douceur, une tendre mélancolie. Car l’on voit bien que tous sont un peu trop âgés pour le service militaire, leur troupe est en retard, et service n’existe plus. Aussi déterminés que vacillants, ils sont à l’image de la jeunesse actuelle : de moins en moins jeune, sécularisée, tatouée, étudiante, quasi trentenaire dans leur débardeur que ne souille ni le travail ni la maladie, mais dont les visages, pourtant, sont déjà marqués par la peur.

Parmi eux sont présentées des gravures, des saints et des figures allégoriques sépia, que l’artiste a abondamment caviardées et commentées au stylo bleu. On pourrait songer à une provocation, une rébellion iconoclaste, or c’est tout autre chose qui se passe. En ne retouchant que les corps, Léo Dorfner ne s’en est pas pris à la représentation, à l’icône en tant qu’objet, mais à l’image que l’on en perçoit et à l’identification qui s’y noue. En ornant leur peau, c’est à leur être qu’il s’adresse. Les parant des signes de la jeunesse d’aujourd’hui, il récuse la différence qui les sépare. Puisque l’on ne peut plus être saint, semble-t-il dire, alors ce sont les saints et les demi-dieux qui nous ressembleront.

À l’anticléricalisme, à l’antimilitarisme, à l’interdiction d’interdire, ces œuvres, par leur raffinement, mordent le maître qui, par complaisance, a trop laissé la bride à sa meute. Alors, certes on rit jaune, mais on rit digne : l’art est aux bondieuseries ce que la jeunesse est aux révolutionnaires, une contre-révolution.

Exposition Léo Dorfner à la Galerie Anouk Le Bourdiec à Paris, du 09 janvier au 22 février 2014


Benoît Blanchard
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